Le Wing Chun, un Art Martial féminin ?

 

Pour comprendre les propos qui vont suivre, il faut partir du principe que l’objectif de la création est la complétude. Cela signifie que tout ce qui est créé dans l’univers est soumis à un processus d’accomplissement. Pour être complète, une œuvre, une créature ou une création doit passer par plusieurs étapes de réalisation. Ces étapes impliquent la distinction, l’épuration et la réunification à parts égales de deux polarités féminine et masculine indissociables et complémentaires. De ce fait, à travers son existence, un homme ou une femme va devoir traverser ces étapes. Sa vie extérieure se modèlera en fonction de l’avancée de son processus d’accomplissement intérieur. Ce que l’on fait à l’intérieur de nous transforme notre réalité extérieure et vice et versa, ce que l’on répète à l’extérieur organise notre monde intérieur. C’est là toute la raison d’être d’un art : il est à la fois un support d’expression de notre intériorité et par sa pratique régulière, il la ré-harmonise. Lorsqu’il est initiatique, il nous amène à reconnaître et à répéter les étapes du processus de la création qui mènent à l’accomplissement d’une œuvre à l’extérieur de nous-même pour que nous puissions nous accomplir à l’intérieur.

La légende qui narre la raison d’être de cet art martial chinois très particulier qu’est le WING CHUN adopte le féminin comme axe central. Elle nous dit que le WING CHUN a été élaboré par et pour une femme à partir de l’observation d’un combat entre deux animaux : un serpent et une grue blanche et qu’il a été finalisé par le couple que son héritière aurait formé avec son bien aimé. Lorsque l’aspect symbolique de cette légende est révélé, nous saisissons qu’elle veut nous dire que le WING CHUN, comme la plupart des arts martiaux traditionnels chinois, propose une voie d’harmonisation de nos polarités masculines et féminines par l’entraînement à l’expression, dans un contexte d’affrontement physique, de la loi universelle représentée par le symbole YIN YANG. La grande différence avec les autres styles martiaux, c’est que le WING CHUN, lui, propose un travail à partir des archétypes féminins pour tendre vers l’équilibre alors que la plupart des autres styles s’appuient d’abord sur ce qu’un homme est capable d’exprimer instinctivement de par sa nature masculine.

Ainsi, la non-opposition à la force adverse, l’écoute, la perception, la souplesse, la fluidité, l’adaptation, l’agilité, la douceur et la ruse sont les qualités sur lesquelles le WING CHUN va construire prioritairement la stratégie de son système. C’est ce que symbolise le serpent dans notre légende, là ou dans les autres arts martiaux Chinois, le tigre, lui, représente les archétypes de base sur lesquels on s’appuie en priorité, c’est-à-dire des archétypes masculins.

Dans le symbole YIN YANG le côté YIN noir représente le principe récepteur, la matière et donc la Terre sur laquelle on s’appuie pour se dresser vers le ciel qui lui, est le principe émetteur exprimé par le côté YANG. Le WING CHUN comme le TAIJIQUAN s’appuient tous deux sur les qualités « terrestres » féminines incarnées par le serpent pour aller vers des qualités plus « célestes » féminines également, représentées par la grue blanche. Les autres arts martiaux, eux, s’appuient sur les qualités terrestres masculines incarnées par le tigre comme la force brute, la puissance, la capacité à placer la force physique et son développement au premier plan pour se diriger vers des qualités « célestes » masculines également, représentées par le Dragon.

Ainsi, en tant qu’artiste martiaux, les femmes comme les hommes sont invités à perfectionner et à sublimer leurs prédispositions, leurs armes ou leurs atouts naturels au sein de leur pratique pour ensuite pouvoir accéder logiquement au développement graduel de dons supérieurs plus subtiles. Cette pratique mettra en place une transmutation alchimique logique par l’action qui consiste à accompagner des forces existantes pour les amener à se transformer progressivement en d’autres forces équilibrantes. L’homme et la femme peuvent également choisir par instinct, de se diriger vers des pratiques martiales destinées à développer directement des aspects contraires à leur nature pour effectuer un travail alchimique plus conscient et plus direct.

L’objectif de la pratique martiale est donc la complétude, l’équilibre des polarités en soi et pour cela, le combat nous offre l’opportunité de travailler à réaliser cet équilibre à l’extérieur de nous-même, au sein d’un élément constamment muable. Il s’agit pour le pratiquant de WING CHUN, de parvenir à entrer en harmonie et non en opposition avec son adversaire dans un cadre codifié. Pour que cette alchimie fonctionne, il faut au préalable que les deux acteurs de l’exercice aient travaillé sur eux techniquement, mentalement et spirituellement ou en d’autres termes, qu’ils se soient préalablement accomplis personnellement.

  • Techniquement parce que, comme en musique, le savoir-faire technique rend l’harmonie avec les autres musiciens possible.

  • Mentalement parce qu’il faut détenir des qualités de concentration et de maîtrise émotionnelle pour gérer les paramètres de rythme, d’angle et de distance que la recherche d’équilibre des forces dans le combat requiert.

  • Spirituellement parce que seule une maturité spirituelle peut permettre à une personne de comprendre que l’objectif de la pratique d’un art martial n’est pas de nourrir l’égo mais bien de le tempérer par la recherche de l’harmonie et de la paix dans un contexte d’opposition.

Si ce travail personnel a été fait par les deux acteurs du combat, alors ce dernier peut devenir un creuset, le berceau d’un exercice du maintien de l’harmonie des forces au sein du changement constant des attaques et des défenses. Cette recherche impliquera et engendrera de grandes transformations internes menant à une élévation spirituelle qui doit être le seul objectif de la pratique.

Les arts martiaux ont été corrompus par une pensée occidentale conquérante et nous avons perdu leur raison d’être. Ils sont même majoritairement devenus l’antithèse de ce qu’ils étaient à l’origine : des voies de perfectionnement de l’être. La société moderne a en plus marqué l’apogée de la domination du masculin sur le féminin et forcément, ce déséquilibre a impacté tous les domaines, tous les milieux. Il va sans dire qu’un art alchimique ne pouvait pas survivre dans de telles conditions, surtout si l’élément de travail sur le soi qu’il proposait était martial car la guerre, « c’est l’affaire des hommes » !

Incapable de comprendre toute la subtilité qu’il y avait à utiliser le cadre du combat comme prétexte à l’amélioration de soi, à la quête du moment présent et à l’établissement de la paix intérieure, l’homme blanc a fait des arts martiaux des sports de combat ou des méthodes de self défense. L’esprit de compétition, la quête de domination, la volonté d’acquérir le maximum de pouvoir de nuisance ou de destruction ou encore la volonté de paraître ont remplacé le souhait de se pacifier et de se connaître pour offrir à l’humanité, un être capable de maîtriser sa pensée, ses désirs, ses pulsions, ses instincts, ses émotions et bien entendu au bout de la chaîne, ses actes.

Les asiatiques ont vendu leur âme au diable occidental et ont accompagné cette démarche en tournant le dos à leurs traditions. Aujourd’hui, de ce fait, on ne pratique pas les arts martiaux pour s’accomplir, pour rendre le monde meilleur, pour lui offrir des êtres responsables défenseurs de la paix. Non, on les pratique pour être plus fort que les autres et les tergiversations sur l’efficacité des techniques en matière de destruction sont devenues les seules préoccupations de la grande majorité des adeptes de ces sports de combat que sont devenus les arts martiaux. Il ne s’agit plus d’établir la paix ou l’harmonie avec un adversaire au sein d’un cadre d’affrontement déterminé après avoir travaillé longuement pour en maîtriser la capacité mais bien de rentrer le plus vite possible dans une vulgaire bagarre, réglementée ou pas, avec quelques aptitudes pour la gérer et remporter une victoire sur l’opposant. Là ou à l’origine, les arts martiaux étaient des arts destinés à unifier, aujourd’hui ils enseignent à diviser. Ils divisent les hommes en eux-mêmes et les divisent entre eux.

Seulement voilà, l’entrée progressive dans l’ère du verseau marque la fin d’un cycle de domination du masculin sur le féminin. La nécessité de revenir à l’équilibre se fait sentir et les femmes sont appelées à incarner sans concession des archétypes féminins qui ont été trop longtemps souillés ou diabolisés. On parle du retour du féminin sacré mais je préfère parler du retour à l’équilibre des polarités. Lorsque la guerrière s’éveille chez une femme, celle-ci est totalement prédisposée à redonner aux arts martiaux leur sens originel. La femme est intuitive et sensible. Elle cherche prioritairement l’apprentissage plutôt que la compétition. Elle ne peut pas compter sur sa force physique pour gérer un combat et doit donc développer des compétences plus difficiles à obtenir. Pour cela, elle est travailleuse, assidue, patiente, régulière, endurante. De nature réceptive, elle est connectée à ce qu’elle ressent dans le présent et ses instincts maternels en font une protectrice plus qu’une conquérante. La femme est instinctivement capable de réunir. Elle sait réunir la famille ou le groupe autour d’un intérêt commun, elle sait créer des cercles, rassembler des équipes, mettre de la cohérence dans le fonctionnement à plusieurs. Elle sait relever les atouts de chacun et les mettre au service d’un ensemble. La femme est également de nature à être plus sensible aux dimensions énergétiques des choses ce qui, dans les arts martiaux chinois et dans la vie en général, est un don majeur.

Si j’en viens à aborder ce thème, c’est parce que je suis enthousiaste à l’idée de voir de vieilles traditions renaître par nécessité pour servir de lanterne dans les ténèbres d’un monde agonisant. Je vois un retour progressif du bon sens, l’émergence d’une conscience qu’il existe des lois dans l’univers, une intelligence cosmique que nous avons bafouée. Je vois les dogmes battis sur des mensonges s’écrouler peu à peu parce qu’ils vont à l’encontre de ce qui nourrit la vie et je m’émerveille de constater un intérêt grandissant pour des disciplines ancestrales gardiennes de sagesse. Je vois les arts martiaux capables de renaître dans toute leur dimension initiatique et redevenir autant éducatifs que thérapeutiques pour leurs adeptes. Ce potentiel de renaissance, je le vois entre les mains des femmes et je constate à quel point elles sont aujourd’hui, par cet appel intérieur à restaurer l’équilibre des polarités au sein de l’humanité, à l’œuvre pour construire le nouveau monde.

Le WING CHUN est un art martial féminin. Il offre aux femmes une voie constituée pour elles dans le but de les mener vers une libération des archétypes de la sage guerrière. Dans la Grèce antique, c’est la déesse Athéna qui représentait ce subtil équilibre entre la sagesse et la maîtrise des arts de la guerre nécessaire pour faire de la femme un être fort, bienveillant et respecté des hommes. Il offre également aux hommes le moyen de travailler au développement de qualités subtiles qui ne sont pas celles auxquelles sa nature le prédispose généralement. Ses atouts et ses instincts naturels seront alors équilibrés par une certaine sensibilité et une grande volonté d’aborder le combat ou la vie comme un jeu de forces dans lequel il convient de trouver l’axe central qui préserve de l’agitation de la périphérie et de ce fait, qui préserve la paix. Par une pratique du WING CHUN traditionnelle, intelligente et non amputée de son aspect spirituel, l’homme et la femme pourront œuvrer à construire deux être « complets en Terre » et complémentaires.

Le WING CHUN est l’art martial Chinois le plus pratiqué dans le monde grâce à l’acteur Bruce Lee qui le popularisa dans les années 70. Il fut récemment remis sur le devant de la scène grâce aux films consacrés au dernier grand maître de ce style, maître YIP MAN. De nombreuses femmes s’y sont alors intéressées mais sont tombées dans les pièges d’une présentation du WING CHUN superficielle purement basée sur des effets de style ou des clichés alimentés par le cinéma. Des disciplines vides d’une quelconque richesse technique ou philosophique souvent enseignées par des personnages se présentant comme des maîtres de l’authentique tradition ancestrale et qui la plupart du temps, sont des autodidactes qui se sont formés au moyen de films ou de vidéos sur le net. Dans le meilleur des cas, ils ont suivi quelques cours ou stages avec des professeurs compétents aux côtés desquels ils n’ont pas oublié de prendre d’innombrables photos afin de prouver leur légitimité à enseigner. Le résultat est qu’aujourd’hui, nous observons des femmes qui, sur les réseaux sociaux, se prétendent pratiquantes parce qu’elles font des gestes techniques apparentés à ceux du WING CHUN dans le vide ou sur un mannequin de bois, le tout, sur fond de musique chinoise et bien sûr, dans des tenues allant de la robe traditionnelle au mini short moulant. Elles tiennent des discours sur la self défense, sur l’efficacité en combat sans avoir la moindre idée de ce dont elles parlent. Il est plus que dommage que ces femmes ne se rendent pas compte qu’elles ternissent deux images : celle des arts martiaux et la leur. Il y a tellement mieux à faire avec les arts martiaux que de paraître car ces disciplines n’ont d’ambition que de construire l’être et non une illusion qui correspond aux standards que le monde moderne impose pour être connu et reconnu.

Devant ces piètres démonstrations j’ai envie de dire « Mesdames, les arts martiaux c’est n’est pas cela et une femme, ce n’est pas cela non plus ».

Brice AMIOT pour A.M.E.S.